Commerce équitable
Publié le 27 Novembre 2008

Le commerce équitable en grande distribution a ses fans et ses détracteurs. Les Français, eux, ont fait leur choix : 93% des acheteurs de produits issus du commerce équitable réalisent ces achats en grandes surfaces. La brèche est donc ouverte, et les distributeurs s’y engouffrent un à un. Ils s’y engagent même, en créant leurs propres gammes de produits estampillés “commerce équitable”. Des marques de distributeurs (MDD) consacrées au commerce équitable, comme Entr’aide chez Leclerc ou Carrefour Agir Solidaire, trônent aujourd’hui dans les rayons aux côtés des marques 100% commerce équitable, comme Alter Eco et Ethiquable, et des produits de marques nationales labellisés, comme le café des petits producteurs de Malongo.
L’essor du commerce équitable en grandes et moyennes surfaces (GMS), c’est avant tout la preuve de la bonne santé du commerce équitable. Une étude récente de l’institut IRI France, basée sur les ventes passées en caisse, le prouve. 44 millions de produits issus du commerce équitable ont été vendus entre juin 2007 et juin 2008, soit une progression de 12% par rapport à la même période l’année précédente. Pendant ce temps, les ventes en épicerie conventionnelle ont diminué de 3%. L’an dernier, 1 foyer sur 4 a acheté un produit labellisé Max Havelaar. Le commerce équitable aurait-il connu un tel succès s’il était resté un produit de niche, cloîtré dans les magasins spécialisés ?
Le tremplin vers le succès
Probablement pas. Rémy Roux, co-fondateur et directeur commercial d’Ethiquable, et Tristan Lecomte, fondateur d’Alter Eco, s’accordent sur ce point. « La grande distribution a lancé notre marque » estime Tristan Lecomte. Selon Julien Maisonhaute, coordinatrice de la Plate-forme pour le commerce équitable (PFCE), « la grande distribution apporte une meilleure visibilité et de plus gros volumes au commerce équitable ». En échange, les enseignes redorent leur image et profitent es bénéfices d’une filière qui marche : la grande distribution réalise 78% du chiffre d’affaire du commerce équitable en France (source : Ministère des Affaires étrangères). Visibles, oui, mais privés de parole, selon Christian Jacquiau, économiste et auteur de « Les coulisses de la grande distribution » et « Les coulisses du commerce équitable ». « Dans les petits magasins qui ne proposent que des produits équitables, le vendeur peut discuter avec les consommateurs, c’est ce qu’on appelle le plaidoyer » explique-t-il. Dans un hypermarché, pas de discussion, pas de sensibilisation direct.
Pour commercialiser la gamme Ethiquable, les enseignes doivent réduire leurs marges sur ces produits. « Nous n’avons pas vocation à valoriser les finances d’investisseurs extérieurs » souligne Rémy Roux. « Nous limitons nos marges, ce qui nous permet de demander la même chose aux enseignes » : pas plus de 25% de marge pour le distributeur, au lieu des 30 à 40% habituels. Certains refusent, et réussissent à négocier d’autres engagements. « Nous avons pris un risque commercial, en laissant plus de place dans les rayons au commerce équitable » se défend Catherine Gomy, directrice qualité et développement durable chez Leclerc. De la poudre aux yeux, de l’avis de Christian Jacquiau. L’économiste estime que les marques équitables ne sont pas favorisées par les distributeurs, et qu’« elles subissent, comme les autres, les marges arrières des distributeurs ». Car en entrant en grandes surfaces, elles deviennent aussi vulnérables que des marques classiques, et doivent tout faire pour se maintenir.
Les marques de distributeurs, une concurrence saine ?
Le marché de l’épicerie équitable en grande distribution génère un chiffre d’affaire de 110 millions d’euros, selon l’étude IRI France. Ce chiffre, qui a progressé de 11% en un an, n’a pas manqué d’attirer l’attention des enseignes, qui lancent les unes après les autres leurs gammes de produits issus du commerce équitable. Elles représentent aujourd’hui plus d’un quart des ventes de l’épicerie équitable, une part qui a progressé de 68% au premier semestre 2008. Ces produits de MDD sont labellisés Max Havelaar, mais ils n’inspirent pas confiance aux puristes. « La traçabilité est moins bonne, l’appui aux petits producteurs est quasi inexistant » regrette Rémy Roux. Pierre Rasse, directeur marketing de la marque de café équitable Lobodis, estime que « l’engagement est plus fort chez les marques nationales ». « Nous sommes peut-être moins sur le terrain, mais nous suivons les filières et les coopératives » répond Alain Reners, responsable mécénat en charge du commerce éthique et équitable chez Auchan.
« Personne ne sait dire si le commerce équitable des grandes enseignes est plus valable que celui des marques nationales » tempère Christian Jacquiau. Pour lui, une chose est sûre cependant : le consommateur est perdu. A l’inverse, certains acteurs voient dans ces gammes une chance. Les MDD permettent aux consommateurs de découvrir le commerce équitable, et les poussent vers les marques nationales ou les magasins spécialisés. Une étude de la PFCE et du Ministère des Affaires étrangères, à paraitre mi-décembre, dévoile que la grande distribution gagne des parts dans le marché du commerce équitable, sans que les magasins spécialisés n’en perdent. « C’est aussi la preuve que le marché est pérenne » observe Tristan Lecomte.
Le commerce équitable « dénaturé »
Loyale, la concurrence ? « Nous avons souffert de l’essor des MDD issus du commerce équitable » avoue Rémy Roux. Certaines enseignes n’ont pas hésité à remplacer les marques nationales, comme Ethiquable, par leurs propres produits, largement inspirés des recettes qui marchent. Comment alors ne pas craindre de voir les marques 100% équitables disparaitre ? Joaquin Munoz, directeur général de Max Havelaar France, et Catherine Gomy de Leclerc rassurent : ces produits ne visent pas les même catégories de clients. « Les marques nationales apportent de l’originalité dans les rayons » estime Alain Reners.
« Les enseignes n’ont pas la vocation de faire un produit parfait, mais un produit bon marché » explique Tristan Lecomte. « Si nous sommes en concurrence directe avec leurs gammes, c’est que nous n’apportons pas assez de valeur ajoutée au marché ». Christian Jacquiau voit plutôt les MDD comme des boulets pour le commerce équitable. « Elles contribuent à dénaturer et à banaliser la démarche politique du commerce équitable ». L’auteur ne voit pas le commerce équitable comme une gamme, mais comme un concept : « le distributeur qui s’engagera vraiment, c’est celui qui ne proposera que des produits équitables dans ses rayons ».
Rouba Naaman Mis en ligne le : 21/11/2008 © 2008 Novethic - Tous droits réservés |
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